Interview H. SAITO Sensei – partie 2

A l’occasion du stage qui a eu lieu à Modena en 2011 avec SAITO Hitohira Sensei, stage organisé par Fabio LUPPI, Simone CHIERCHINI a pu interviewer maître SAITO. Voici la seconde partie de cet interview ! – lire la 1ere partie

Voici cette interview traduite ici avec
l’aimable autorisation de Simone CHIERCHINI.
Elle a pu être réalisée avec l’aide de
Marie B., Luca  MARCHETTI que je remercie vivement.
 Traduction française – © 2011 esavalli aiki-dojo.fr / AikidoBlog.net

Longtemps attendue, voici la seconde partie de l’entretien avec SAITO Hitohira Sensei, dans laquelle nous retrouvons la relation particulière entre le père et le fils SAITO, la scission avec l’Aïkikaï et la création de Dento Iwama Ryu [ndlr – Iwama Ryu Shinshin Aiki Shurenkai], mais aussi l’étrange évolution des techniques Bukiwaza du Fondateur.

CHIERCHINI : La question suivante concerne la relation entre Morihiro et Hitohira : Quelle  relation « père-fils », et parallèlement « professeur-élève », aviez-vous ?

SAITO : Dans le dojo je ne me suis jamais tourné vers mon père en tant que « père » ; je l’ai toujours appelé « sensei », comme tout le monde. De même, dans le dojo il ne m’a jamais traité comme son fils. J’étais considéré comme tout le monde : un étudiant parmi les étudiants. Quand j’étais ceinture blanche, je nettoyais comme tout le monde, je n’avais aucun privilège.
A la maison je n’ai jamais posé de questions sur des sujets relatifs au dojo ou sur les techniques. En famille, nous ne parlions pas de waza [ndlr – techniques] :  si tel était le cas, mon père me rétorquait qu’il y avait l’herbe autour du temple à couper ou d’autres travaux d’entretien à faire.

Dans le dojo, nous avions donc une relation enseignant-élève, et à la maison, un relation familiale.

Morihiro and Hitohiro SAITO Sensei - Tristao Da Cunha - Nakamura
SAITO Morihiro Sensei et SAITO Hitohiro Sensei – Iwama (Japon)
photo © Tristao Da Cunha

CHIERCHINI : Voyons à présent une question un peu délicate : celle de la rupture avec la Fondation Aïkikai [ndlr – Organisation mondiale de l’Aïkido, située à Tokyo et supervisée par le doshu, le fils du fondateur, UESHIBA Kisshōmaru] et la naissance de la nouvelle organisation : Iwama Shin-Shin Aïki Shuren-kai.

On a raconté beaucoup de choses à propos de ces événements, mais je pense plus correct de vous demander directement votre version.

SAITO : Lorsqu’il est tombé malade et était sur son lit de mort, O’Sensei a appelé mon père, a joint les mains et a dit : « SAITO-san, s’il te plaît prend soin du dojo et de l’Aïki-Jinja« . De ce fait, mon père est resté membre de l’Aïkikai et a pris soin des choses, conformément à la demandé de O’Sensei.

A cette époque, en plus d’entretenir le dojo et le temple, mon père enseignait les techniques de Buki-waza [ndlr – techniques d’armes] et délivra des diplômes.
De son vivant, le fondateur avait confié à mon père un devoir à réaliser [ndlr – la transmission des techniques du fondateur] et un titre à respecter, celui de gardien de l’Aïki-Jinja.

Après la mort de mon père, l’Aïkikai m’a demandé de cesser d’utiliser ce titre et de ne plus donner de « diplômes de Bukiwaza« .

J’ai accepté, mais j’avais une requête : l’Aïkikai devait  publier dans son magazine, le Aïki-Shinbun, une déclaration selon laquelle la Fondation Aïkikai s’engagait à protéger l’Aïkido tel que développé à Iwama, en reconnaissant les différences avec celui pratiqué à Tokyo.
S’ils avaient entendu ma demande, je ne les mettais pas en porte-à-faux vis-à-vis des personnes qui avaient reçu un diplôme de mon père (pour une grande majorité des pratiquants étrangers).
Mais la Fondation Aïkikai n’a pas voulu répondre à ma demande.

Pour la famille SAITO, être reconnus en tant que protecteurs de l’Aïki Jinja de O’Sensei était très important : ce fut une source de fierté.

Il est nécessaire de reconnaître que l’Aïkido, tel que pratiqué au sein de l’Aïkikai, est différent de celui qui est enseigné à Iwama. Je voulais protéger et défendre cet enseignement, mais cela n’a pas été possible [au sein de l’Aikikai], parce que l’Aïkikai ne voulait pas reconnaître cette différence.

Je suis, en esprit, l’héritier de ces deux personnes qui m’ont précédés : O’Sensei et mon père Morihiro, qui a été proche du Fondateur toute sa vie durant, au point de recevoir la tâche de protéger le dojo et l’Aïki-Jinja. J’ai reçu cet héritage.

Aujourd’hui encore, nous sommes reconnaissants et nous vivons la présence de O’Sensei avec un grand respect.

L’Aïkikai a formé de nombreuses personnes variées, qui vivent l’Aïkido à leur façon, différemment de la nôtre. J’ai donc présenté mes excuses à UESHIBA Moriteru Sensei, lui disant qu’à l’avenir nous ferions les choses et pratiquerions l’Aïkido de notre côté.

C’est ainsi que les choses se sont passées.

CHIERCHINI : A ce sujet, il y a une autre question directement liée : celle des relations avec les autres enseignants occidentaux qui suivent la même tradition, et la controverse au sujet de la transmission de l’héritage d’Iwama en Italie et dans le monde.

SAITO : Déjà au temps de O’Sensei, il y avait plusieurs courants, souvenez-vous Tomiki, Yoshinkan, Ki-no-Kenkyukai, et Mochizuki Sensei.

Beaucoup de personnes sont venus à Iwama pour apprendre le Taijutsu et le Bukiwaza, et ensuite se sont engagés et ont fait de leur mieux pour transmettre ces techniques dans d’autres endroits.
Quand un arbre pousse, des branches se mettent à pousser.
Il ne m’appartient pas de dire que ceci ou cela n’est pas Iwama Ryu, je suis moi-même sorti de l’Aïkikai, je ne vais donc pas me prononcer à ce sujet.

CHIERCHINI : Excusez-moi de revenir sur le sujet précédent. J’appartient à l’école Aïkikai Hombu Dojo [ndlr. Dojo central de l’Aïkikaï à Tokyo] via l’Aïkikai de l’Italie, et mes relations avec Iwama Ryu sont récentes. Je dois avouer que je suis très en colère et j’ai la sensation d’avoir été trompé : pourquoi l’Aïkikai n’enseigne pas de Kihon et Bukiwaza d’Iwama Ryu ?

SAITO : Avant la seconde guerre mondiale, O’Sensei n’avait pas encore codifié le système par lequel il allait transmettre ses techniques. Après la guerre, mon père était le seul à rester avec lui tous les jours et à pratiquer avec lui jo, ken et yari. Les autres étudiants venaient pratiquer le soir [ndlr – soto deshi], tandis que les anciens élèves de O’Sensei – qui vivaient à Tokyo – suivaient ses leçons une journée, puis repartaient. Après la guerre, ces techniques n’ont pas été transmises [à Tokyo] pour plusieurs raisons, celles là notamment.

O'Sensei et Morihiro SAITO - Iwama 1964
SAITO Sensei aux côtés de son maître à Iwama en 1964.
Photo © aikidojournal.com 

Aucun maître de l’Hombu dojo n’était capable de pratiquer les techniques d’Iwama comme mon père.

Cependant, je dois dire que lorsque O’Sensei allait enseigner à l’Hombu Dojo, il prennait son sabre et disait à quelqu’un: « Attaque-moi » !, et il montrait des techniques…. Il montrait certes les techniques, mais tout le monde n’avait pas le temps de pratiquer et essayer le bokken. Quand il a vu que les étudiants de l’Hombu Dojo prenaient le bokken et s’essayait à des techniques qu’il n’avait pas expliqué, il criait: « Vous êtes fou ! Qui vous a dit de faire cela ? Qui vous a dit de le faire ?« . Il se mettait très en colère.

Le fondateur était très fier de sa propre pensée et ne permettait pas à quelqu’un de la « réinterpréter » [devant lui].

[SAITO  H. sensei montre certaines pages du manuel de Budo de Morihei Ueshiba du 1935, NdT] Ici est écrit qu’il a exigé que dans son dojo, on pratique uniquement l’Aïkido et non le Iaïdo ou un quelconque autre art martial. Quand on est dans un dojo d’Aïkido, on fait de l’Aïkido ; si on veut faire du Iaido, on va dans un dojo de Iaido.

S’il voyait quelqu’un du Hombu Dojo un bokken à la main, il disait : « Tu n’as jamais été à Iwama, alors que fais-tu avec ce bokken ?! »

Alors, peut-être, les étudiants de l’Hombu Dojo, se sont mépris sur ses intentions ; ils ont pensé qu’il était interdit de toucher le bokken, puisque O’Sensei se mettait en colère s’il voyait l’un d’entre eux le pratiquer. Son idée était plutôt que celui qui voulait faire du Iaido devrait aller dans un Dojo de Iaido, ou celui qui voulait pratiquer le Jodo, dans un dojo de Muso Ryu, etc.

L’Aïkido est plus que la voie des samouraïs, mais si vous vous dispensez du travail du sabre, vous ne pratiquez par l’art des Samouraï !

De plus, certains pensent que les armes ne doivent être pratiquées qu’à partir d’un certain niveau, pas nous. Tout doit être pratiqué, Bukiwaza et Taijutsu. Ceux qui ne sont pas d’accord avec cela devrait aller se plaindre à O’Sensei…

Pour être samouraï, on devait apprendre à monter à cheval, se battre à la lance, tirer à l’arc, manier un sabre… c’est évident, non ? L’équitation et le tir à l’arc nécessitent de très grands espaces. De plus, entretenir un cheval est très cher, mais il est possible de s’entraîner au bâton ou au sabre n’importe où, c’est pourquoi ils sont pratiqués [en Aikido].

Samourai à cheval
Statue du Samurai Kusunoki Masashige (1294-1336) – Japon

On doit travailler avec les armes dès le début, parce que O’Sensei a créé des techniques à mains nues en lien très étroit avec celles aux armes, c’est là la marque distinctive de son travail.

Tout le monde peut le faire, les personnes de l’Aïkikai y compris. Je suis prêt à aider ; si vous le souhaitez, je suis là pour ça.

CHIERCHINI : Pour mieux le comprendre, les shihan [ndlr – grand professeurs] d’école différente de l’Iwama Ryu, qui ont été envoyés pour enseigner dans le monde entier ces dernières 40-50 années, ont proposé leur propre bukiwaza, qui n’a rien à voir avec celle de O’Sensei.

SAITO : Parmi les shihan de « l’école Aïkikai », certains ont appris leurs techniques d’arme de mon père, bien que je n’ai pas vu beaucoup d’enseignants lui rendre visite à Iwama. KOBAYASHI Sensei en est un, même si j’ai vu qu’il a développé des choses un peu différentes.

CHIERCHINI : Quelle est votre position, maître, par rapport à la dichotomie entre tradition et innovation dans l’Aïkido ?
Il est juste et bon de préserver l’Aïkido tel qu’il a été formulé par son fondateur, mais est-il aussi juste et approprié de continuer à le faire évoluer, ou faut-il juste préserver la tradition ?

SAITO : Je pense que l’innovation est inévitable. En cela, O’Sensei utilisait l’expression « Takemusu Aïki« , c’est-à-dire que les techniques surgissent spontanément et se multiplient ensuite.

Donc, si une dizaine de personnes apprennent d’un maître, parce que les gens ne sont pas tous égaux, il est inévitable que nous aurons dix résultats légèrement différents. Le fait que les choses changent au fil du temps est, je pense, inévitable.

CHIERCHINI : Pouvons-nous conclure sur un message d’espoir, d’encouragement de votre part, envers les débutants qui commencent le chemin de l’Aïkido aujourd’hui.

SAITO : Au Japon, depuis des siècles il y a une façon de faire : quand on veut apprendre d’un maître quelque chose, quelle qu’elle soit, nous ne nous précipitons pas dans le premier lieu venu. Au préalable, il y a une phase d’étude, de préparation… Si je suis intéressé par le tir à l’arc, si je veux faire du Kyudo, je vais regarder autour de moi, et je vais demander à d’autres pratiquants de me montrer, concrètement, le meilleur endroit où aller, puis de me présenter à l’enseignant.

Ce doit être l’attitude fondamentale de quelqu’un qui s’intéresse à un art martial.

Je suggère donc de visiter différents dojo pour voir quels y sont les types d’Aïkido pratiqués, et ensuite de choisir en fonction des attentes.

L’Aikido n’est pas seulement une activité physique, l’Aikido possède également un haut niveau spirituel, hérité du fondateur, O’Sensei UESHIBA.

Je pense que c’est une belle activité à entreprendre, et attrayante pour un débutant.

Hitohiro SAITO Sensei
11-2010 – Hitohira SAITO Sensei à Rennes – photo © G.Prie

Les arts martiaux ne sont ni sports ni loisirs. L’idée de la mort y est toujours présente. C’est un concept fondamental que l’on avait toujours à l’esprit lorsque, dans les temps anciens du Japon, on décidait d’apprendre un art martial. De nos jours, il faut toujours avoir cela à l’esprit. (La pratique de l’Aikido n’est pas à prendre avec légèreté NdT).

Ce n’est pas seulement une activité physique ou corporelle : quand on le pratique, en ayant à l’esprit que nous sommes toujours près de la mort, l’art martial devient une activité de l’âme.

Une fois que vous avez intégré cela, vous êtes le bienvenu pour débuter en Aïkido.

CHIERCHINI : Sensei, je tiens vraiment à vous remercier pour votre temps et l’attention que vous nous avez accordé.

Merci également au nom de la communauté italienne de l’Aïkido en général, indépendamment des fédérations, des maîtres et des styles.

J’espère que votre enseignement trouvera la place qu’il mérite ici.

SAITO : Arigato gozaimashita.

Voir aussi :

  • Interview en italien
  • Diaporama des photographies prises lors de ce stage et de cette interview.

Publiched 16 octobre 2011 – Last Updated on 22 septembre 2013 by Eric Savalli / Aikido Blog .net

2 réflexions au sujet de “Interview H. SAITO Sensei – partie 2”

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